Une fois n’est pas coutume 

À l’occasion de son discours de ressat (un repas marquant la fin des récoltes), le propriétaire d’un domaine viticole vaudois souhaitait exprimer sa gratitude envers un ami de longue date, douanier à la retraite et fidèle participant aux travaux des vendanges. Il me confia donc le mandat de rédiger un texte « pas trop long et pas trop sérieux, avec des mots de chez nous ». De plus, amoureux de poésie, ce “douanier vendangeur” apprécierait probablement quelques alexandrins.

Tout un programme… 

Par chance, la rédaction d’un poème titille souvent mon imagination, et le parler vaudois qui a bercé mon enfance – le Quèche tè batoille ! (tais-toi, bavarde !)  proféré par ma grand-mère suffisait à me clouer le bec – fait partie de mon vocabulaire.  Ce fut un bonheur de m’en servir.

Une fois n’est pas coutume !

« [] Ce serait à tort qu’on aurait pour le patois ou la langue populaire une sorte de mépris : les langues ne sont point tout entières dans leurs formes classiques, pas plus que l’arbre n’est tout entier dans sa fleur. » Émile JAVELLE, Prof. (Journal de Vevey du 16 mars 1875)

__________________
________________________________
________________________________________________

Si l’on pouvait conter la vendange en douze pieds… 
 Un douanier vendangeur, sur sa brante aboclé,
Rêvait d’une combine pour alléger sa tâche.
Dans le champ du voisin (qui faisait son clopet),
Un vieux truc à moteur semblait apte à l’ouvrage.
Le gaillard requinqué franchit donc le clédar,
Puis emmoda l’engin et revint au boulot.
Il aguilla les caisses en pensant « Tu vas voir,
Je s’rai pas le dernier à l’heure de l’apéro ! »
Il tassa tant et plus que le p’tit tracasset
Se mit droit en travers, cupessa dans la ligne
Et finit sa dérupe au fin fond du parchet,
Ébriquant au passage quelques sarments de vigne.
Sous l’œil tout épouairé du brantard affolé,
Le moteur refusait de se remettre en route.
On retroussa les manches pour aller ramasser
L’épéclée de raisin et de grappes en déroute.
Allez, hop ! mollachus, faudrait voir pour bosser,
Ça pétouille, ça batoille, le patron va quinter !
Et si le pressoir n’est pas plein à craquer,
Le ressat de ce soir va vous passer sous l’nez !
Le fin mot de l’histoire, c’est qu’il faut se méfier,
La prudence est de mise quand t’engages un douanier…

________________________________________________
________________________________
__________________


Post-scriptum

À toutes fins utiles

Une brante : une hotte en bois servant à transporter la vendange
Aboclé : appuyé sur quelque chose
Faire un clopet : faire la sieste
Requinqué : réconforté
Un clédar :  une porte de clôture à claire-voie
Emmoder : enclencher un moteur
Aguiller : empiler de manière instable
Les caisses : les récipients servant à la récolte des grappes
Un tracasset : un véhicule à moteur sur trois roues utilisé pour les travaux viticoles
Se mettre droit en travers : intraduisible mais explicite !
Cupesser : culbuter
Une ligne : un rang de vigne
Une dérupe : une descente sur une pente raide
Un parchet : une parcelle de vignoble
Ébriquer : casser
Epouairé : effrayé
Un brantard : un porteur de brante (ou de caisses à vendanges)
Une épéclée : une grande quantité
Mollachu : sans énergie
Pétouiller : traîner, ne pas avancer
Batoiller : bavarder
Quinter : s’énerver

Dominique Bettens, avril 2024

Académie des écrivains publics de Suisse